Labo Christophe Pellet (2ème set)

Deuxième session du 07 au 11 janvier 2011

Premier jour : Vendredi 07 janvier 2011

La veille : montage. Discussion sur la suspension des clusters dont l’ombre atteint l’écran. Vieux problème du son et de la lumière – en considérant que la vidéo c’est de la lumière -. J’ai déjà connu ça sur des plateaux de tournage. Ah les ombres de perche…

Donc ce vendredi, retrouvailles. Nos jeunes interprètes ont bien travaillé, les textes sont appris. On regarde la captation tournée en fin de première session. Je leur demande ce qu’ils en pensent. Certains sont un peu surpris. Pas d’enthousiasme mais un vrai intérêt. En fait, ils découvrent l’objet dans sa globalité. Je me suis aperçue qu’au théâtre, les interprètes n’ont pas l’habitude de « regarder » le travail. On répète, sans qu’ils aient le temps de prendre conscience des images créées aussi bien sur le plateau que projetées sur l’écran.

Travail sur la "scène bouclée". Claire propose une meilleure gestion du plateau. En modifiant les déplacements, on a soudain l’impression qu’il y a foule.

A la vidéo, Borght et Nicolas proposent un autre montage. Le premier travelling est bien plus clair. A la lumière, Chet a monté la puissance de ses latéraux. Du coup, l’étrangeté du plateau, cette ambiance liée à la pénombre disparaît. De leur côté, les acteurs sont plus précis et nous donnent à voir.

Conséquence, à trop voir, on entend moins la voix off. Vieux problème que je connais bien. Trop d’informations tue la parole. Autant au cinéma, le découpage autorise une grande liberté, autant au théâtre toutes les informations sont transmises dans un seul plan. Finalement, ce qui compte avant tout c’est l’équilibre des voix. Ou peut-être l’équilibre tout court ! Mais cet équilibre exige qu’on suive ce qui se dit.

 

Deuxième jour : samedi 08 janvier 2011

Réunion d’équipe au matin, nous revisitons la conduite générale.

Nouvelle tentative sur la diffusion de la voix off. C’est meilleur, mais nous convenons de réenregistrer certaines parties, les collages effectués à 3 mois d’intervalles se sentent, quels que soient nos artifices.

Avec les comédiens, nous reprenons du début, calons scène par scène. A la table, je les ai fait travailler sur la sensation de fatigue. Au plateau, le résultat est ennuyeux.

Prendre le récit au pied de la lettre : que va-t-il se passer lors de ce voyage où Paul Fradontal part enterrer son amie ? Travailler la beauté de la langue en suggérant le suspens du récit. Ça fonctionne mieux.

Je suis soulagée, les acteurs existent de + en + sur le plateau. Cette fois-ci, je ne rencontre pas le problème habituel de l’image qui dévore l’interprète. Je suppose que la taille de l’écran y est pour quelque chose. Quant à l’image, une déclinaison du travelling, parfois très abstrait, elle nous emmène ailleurs, dans une logique de la sensation.

Nous progressons lentement, phénomène habituel du deuxième jour où tout semble coincer. Mais quand nous filons 25 mn en fin de journée, à nouveau nous éprouvons ce sentiment plutôt agréable d’un travail qui a du sens.

J’essaie de ne pas m’angoisser sur le peu de temps qu’il nous reste.

 

Troisième jour: dimanche 9 janvier

Les comédiens continuent à progresser. Nous revoyons la deuxième partie. A force de couper et restructurer la continuité, j'ai des doutes sur la compréhension du texte.

Filage général. Première constatation: il y a une ambiance générale, forte et singulière. Tant mieux. Individus qui se croisent dans un hall de gare, groupe d'amis en partance pour l'enterrement de Lucie, ou ce même groupe des années après qui se souvient. Brouillage du temps et des espaces. L'objet fonctionne comme le texte, avec un centre et des pétales telle une série de digressions qui nous conduisent ailleurs pour mieux revenir au cœur du récit.

 

Un metteur en scène est un chef d'orchestre dans ce type d'objets. Avant le filage complet, alors que je convoque à toute vitesse l'équipe pour leur exprimer mes doutes sur la structure de la fin, particulièrement le retour de Lucie mais cette fois-ci sur le plateau (toujours ce lien à construire entre l'mage projetée et celle crée sur le plateau), un retour trop court, qui n'a pas le temps de se déployer, Claire propose tout à coup que Margot/Lucie chantonne sur la chanson diffusée au loin et qu'elle puisse continuer sa ronde en fredonnant une fois la chanson terminée. Les garçons renchérissent, complètent. Je bénis à nouveau la force d'une équipe, cet orchestre où les musiciens ne se contentent pas d'une simple interprétation mais fabriquent ensemble leur partition en temps réel.

 

Vérification de cette proposition lors du dernier filage: ça fonctionne!

 

Ce que le théâtre a de commun avec le cinéma: la gestion du rythme. Parfois, cela se joue à quelques secondes.

 

Nous terminons à 20h30. Une demie heure de retard. Le gardien est là, furieux. Il me rappelle sèchement que nous aurions dû quitter les lieux à 20h. Ce Monsieur ne comprend pas que nous galopons contre le temps pour présenter un travail digne de ce nom. Quasiment aucun arrêt pendant les longues heures de plateau. Chet me remonte le moral à la sortie, le travail avance, c'est ce qui compte.

 

Je vérifie aussi à quel point il faut prendre en compte le corps du comédien, non seulement sa structure organique (taille, poids) mais également son rythme. A moins de construire un contre-emploi, ce qui exigerait un vrai temps de travail, le corps du comédien écrit à lui seul une partition dont il est impossible de ne pas tenir compte.

 

Annabelle corrige et recorrige la conduite. Video, son, lumière, déplacements, prises de parole, voix off… Les colonnes se multiplient et s'allongent. Les deux jeunes Nicolas serrent les dents sur leurs conduites. Gery et Borght restent calmes, en vieux routiers.

Un compromis est finalement trouvé sur l'image subliminale de Lucie projetée. Nicolas et Borght ont réussi à composer une image où le corps de l'absente reste au premier plan.

 

Lundi après-midi, arrivée de Christophe Pellet, l'auteur. Légère tension. J'ai beau expliquer aux comédiens que l'auteur est aussi timide qu'eux, qu'il ne se déplace pas pour juger un travail mais y collaborer, je perçois les légères accélérations cardiaques.

 

Quatrième  et cinquième jours: lundi 10 et mardi 11 janvier

Même moi, je suis anxieuse! Christophe arrive dans l'après-midi et nous nous dépêchons de filer avant que je grimpe dans ma vieille Clio pour le ramasser à la gare. Le récit me semble éclaté, je sens qu'il y a trop de choses, mais l'ensemble se tient.

Un petit coup de vis par-ci, un coup de rape ailleurs. Les acteurs cherchent leur point d'équilibre. Leurs voix s'affirment dans les micros.

 

Arrivée de Christophe. Nous entrons dans le noir, nouveaux réglages lumière. C'est étrange cette entrée de l'auteur dans l'obscurité. Mains serrées, l'équipe sur son quant à  soi.

Voilà donc l'homme dont nous disséquons chaque phrase.

Filage, plantage technique, accélération cardiaque, on dirait presque une générale. Le pépin est surmonté, on avance et je me surprends à regarder, à réellement regarder et écouter.

 

"Serait-ce déjà la mort?" Fin du spectacle, ses derniers mots. Noir. Nous émergeons. Cigarette sur le pas de la porte. Christophe a l'air heureux. Corinne, du TAP, me dit qu'on est prêts à jouer. Faux, j'ai vu trop d'images, entendu trop de sons. Je sens tout ce qu'il y a à dégraisser.

 

Retour dans la salle, Christophe s'asseoit au milieu des étudiants. Ils parlent peu, questionnent peu. Le regardent, l'écoutent. Car c'est lui qui parle, les interroge, qui sont-ils, qu'ont-ils envie de faire de leur existence, plus tard? Notre brusque nostalgie, à nous les plus vieux, sur ce plus tard qui est notre actualité. Laureen dit tout doucement qu'elle aimerait faire de la mise en scène, Pierre qu'il ne sait pas, voyager? Christophe parle de cinéma, de Scorcese qui a emprunté l'un de ses plans à je ne sais plus qui. Que la création est faite d'emprunts.

Nous avons la même culture, le même goût. C'est la première personne que je rencontre dans l'univers du théâtre qui partage mon obsession du cinéma. Nous évoquons Wenders, Akerman. Les étudiants notent, iront-ils voir tous ces films? Christophe dit que c'est une grande tristesse lorsqu'il découvre l'un de ses textes montés platement, direction d'acteurs et respect de l'écrit. Il dit que c'est d'autant plus affreux qu'il se retrouve confronté à tous les défauts de son texte. Ce qu'il attend d'un metteur en scène: une proposition, une mise en scène justement. Il est surpris qu'on n'ait pas coupé dans sa nouvelle. Quelle horreur, elle n'a pas un mot en trop.

Je découvre en l'écoutant qu'avec cette nouvelle mise en scène, qui a convoqué les deux grammaires, celle du cinéma et celle du plateau, j'approche de ce qui me meut depuis longtemps: des objets hybrides, capables de proposer des univers oniriques où le texte est serti dans un assemblage d'images.

Je dis à Christophe que j'ai l'impression qu'Un doux reniement ressemble à un prélude avant Le Garçon Girafe, l'une de ses pièces, que je veux monter. Il dessine une légère moue. Non, Un doux reniement, cette mise en scène existe en soi. Exact et inexact à la fois car une mise en scène déclenche souvent la suivante. Le sillon se creuse, le territoire se précise.

 

Le lendemain, nous filons à nouveau. Tout se précise de plus en plus vite. C'est plus fort, plus beau. Nous nous sommes tous nourris de la présence de Christophe que j'ai raccompagné tôt le matin à la gare.

Je ne me lasse pas des travellings qui défilent. Comme je ne me lasse pas de ces corps de jeunes gens maintenant à l'aise sur le plateau, dans leur innocence et leur force distraite.

Au troisième filage, je sais que nous atteignons bientôt le stade final. Nous démontons tous ensemble. Puis nous séparons. Nous nous retrouverons en mai.

 

 

>> suite du labo (set3)

Écrire commentaire

Commentaires: 1
  • #1

    Christophe Pellet (mardi, 11 janvier 2011 21:35)

    Bonsoir à tous, j'espère que la journée a été constructive. Je suis très heureux de ce que j'ai vu hier : le texte est là, l'esprit du texte. Hâte de voir le résultat final en mai. C'est un beau travail de troupe, un travail d'équipe, qui n'annihile pas les personnalités, les envies de chacun, il me semble. A très bientôt. Christophe