Le TU-Nantes a confié la direction artistique de son Atelier de création 2010 à Anne Théron qui a choisi de travailler sur Richard III de Carmelo Bene avec des membres de sa compagnie. Espace de formation et d’insertion professionnelle, l’Atelier de création Richard III, réunit par ailleurs 16 étudiants issus de différentes filières de l’Université de Nantes, du Département Scénographie de l’Ecole Nationale d’Architecture et du DMA Régie spectacle du Lycée Guist’hau de Nantes. Avec Anne Théron et son équipe, ils réaliseront un prototype, un objet qui sera présenté du 31 mars au 2 avril 2010, lors de la 16ème édition du FUN (Festival universitaire de Nantes).
Bertrand Salanon, directeur du TU-Nantes
Arrivée le mercredi en fin de matinée. 17 février, c’est encore et toujours l’hiver. Je prends le bus de 8h00 à Poitiers, il fait noir, il pleuvine et avec la montée du jour le brouillard semble
s’épaissir.
Arrivée à 11h20 à Nantes.
JB et Jean-Louis arrivent ensemble de Paris.
On se retrouve le midi au RU, reprise des bonnes habitudes ! Nourriture consistante, tickets pas chers.
Réunion dans l’après-midi avec les étudiants, en scéno, vidéo, son, lumières. Colyne et Akiko ont fait un bon travail de préparation. Je suis assez impressionnée par l’investissement de
tous.
Le soir, on nous emmène dans la maison où nous nous installons pour les 15 jours à venir. Achats de bière et de Côtes du Rhône. Cuisine basique mais consistante.
Le projet, mettre en scène Richard dans la fabrication de son image d’homme de pouvoir. Mais surtout montrer à vue la fabrication d’un objet de plateau. D’où les régies et d’une manière générale
de tout le monde sur le plateau. Nous sommes tous les interprètes de cet objet.
1er jour de travail : montage
Jeudi 18 février, premier jour. J’ai toujours le ventre un peu serré, je vois l’ampleur du travail, aussi bien pédagogique qu’artistique. Le matin, les interprètes s’échauffent avec Akiko en
salle de répétitions tandis qu’on monte la lumière et que les régies s’installent. On enlève les pendrillons et les taps. Plateau nu, tout est à vue. Une scénographie qui pourrait évoquer
l’ambiance du Wooster Group. Matelas, TV, cables, micros, les outils participent à la dramaturgie, entre plateau TV et squatt.
Bien que j’ai déjà coupé dans le texte de CB, impossible en à peine 3 semaines de tout monter. Je demande à ce qu’on enregistre la pièce complète. On traitera certaines parties en accéléré, comme
lorsqu’on regarde un film en DVD et qu’on accélère certaines parties pour s’arrêter sur les scènes qui nous intéressent. C’est aussi une manière de traiter le phénomène contemporain de la
vitesse, particulièrement dans le monde politique où aujourd’hui plus rien ne fait mémoire, les évènements s’enchaînent sans laisser de trace.
L’après-midi, je travaille sur le texte avec les comédiens/danseurs. Bon niveau général, cela me rassure.
2ème jour : début des répétitions
Vendredi 19 février, enregistrement le matin du texte. Tout le monde écoute, ceux de la vidéo filment. Mémoire de ce premier moment. Qu’est-ce que ça raconte et surtout comment le raconter. La
mise en scène n’est pas là pour expliquer le texte mais pour s’interroger sur d’autres entrées qui mettent ce texte en relief.
L’après-midi, travail de la fameuse scène Richard/Lady Anne. Insert de la chorégraphie des femmes à l’intérieur. Découverte du micro par Florent, ou comment respirer et fabriquer de l’intimité
avec. Une fois de plus, constatation qu’on ne peut mixer trop d’informations sur le plateau, les chorégraphies annulent le texte, les dizaines d’images également. Finalement, monochromes sur les
écrans en début de scène. Trouver les points de rupture dans le texte, introduire le corps, en profiter pour développer les aspects complexes des personnages, particulièrement Richard. Vraie
rupture avec la reprise de parole de ce personnage que j’ai appelé La Parleuse, interprété par Colyne, meneuse de revue, celle qui dit les merveilleuses didascalies de CB. Apparition des pubs,
jingle Dim, à l’image de ce monde de variétés, où tout est prétexte à vendre/consommer. Articuler la scène sur des variations d’émotions, Anne disparaît dans sa robe, les autres femmes prennent
le relai de la parole. Nous sommes toutes des Lady Anne, comme dans le spectacle précédent nous étions toutes des Jackie.
La scène fait plus de 17 mn, on ne la voit pas passer.
Ce qui m’importe, c’est de travailler le texte, de le faire entendre, malgré ou grâce aux outils que nous utilisons. Certains acteurs buttent sur cette articulation précise que j’exige mais d’une
manière générale, ils s’en tirent bien. La scène est le dernier endroit du texte, à la différence du cinéma ou de la télé, je crois qu’ils l’ont compris.
Le soir, sommes épuisés avec JB et JL. Juste le courage de se cuisiner un plat, et de boire la seule bouteille que JL nous autorise. Sommeil de plomb, quelques réveils brutaux, puis c’est déjà le
moment de faire couler l’eau jusqu’à ce qu’elle soit assez chaude pour enfin se doucher.
Photos :
Vidéos :
3ème jour
Samedi 20 février, travail avec les scénos qui composent un mur de vêtements sur lequel on projette. Postulat, tout ce qui relève du direct est projeté sur ce mur et 2 ou 3 téléviseurs au sol. Le
mur de téléviseurs diffuse des images préenregistrées.
Travail avec la vidéo sur le contenu : commencer par des images d’hommes politiques (Bush, Poutine, Sarkozy, Berlusconi) mixées avec du porno. Le plan porno que JL a extrait est une sodomie. On a
tous un haut le cœur. Si on considère que la pornographie signifie passer sur le corps de l’autre, à la différence de l’érotisme qui compose avec le corps de l’autre, effectivement le politique
aujourd’hui relève de la pornographie.
A la scéno, les filles me disposent des petits sacs de farine partout avec de grandes pailles. Je demande aux interprètes de sniffer régulièrement, surtout Richard. La farine vole partout.
Après-midi, plateau avec les interprètes. Cécile trouve son personnage de Lady Anne dans ce balancement/oscillation qui la caractérise. Repris par toutes les femmes. J’ai toujours cette bouffée
d’émotion quand un mouvement est repris à l’unisson, ou une parole. Peut-être ma vieille utopie, ce rêve qui me poursuit que les êtres humains puissent fonctionner ensemble. Affrontement physique
Anne/Richard qui fonctionne bien. La composition devient globale, toutes les entrées (jeu, corps, images, sons, lumières) racontent l’histoire.
Première tentative de la scène Elisabeth/Richard, où il lui demande la main de sa dernière fille encore vivante. Il est roi, a fait tuer tous ceux qui pourraient le menacer. Intuition : calmer le
jeu. Bizarrement, c’est là un moment érotique, ce qui n’a pas été avec Anne auparavant. Elisabeth, femme brisée, à la limite de la folie, et pourtant femme qui s’abandonne sous cette parole
d’homme de pouvoir.
Eva au sol, Richard sur une chaise très haute. Alors que les répliquent s’enchaînent, je fais tout ralentir. Trouver des moments de rupture pendant lesquels le corps d’Elisabeth évolue au sol
dans un étirement proche de la volupté. Encore une fois travail sur la respiration. (je pense à Andromaque que nous allons monter prochainement, à ces femmes qui ont tout perdu, à quel point cela
résonne aujourd’hui).
Jazz (Chet Baker), bruits de rue.
Les 2 visages filmés en GP, projetés sur un même écran.
Puis brouillon de la scène de la malédiction (Elisabeth, Marguerite, la Duchesse). J’ai toujours pensé à ces groupes de Gospel noirs américains. Je fais mettre 3 micros sur pied bord plateau.
Claquement de doigts, trouver le rythme de la parole dans le balancement du corps.
Photos :
4ème jour
Dimanche 21 février, échauffement, revoir les chorégraphies, reprendre la scène Elisabeth/Richard puis les 3 femmes. L’équipe me demande de les répéter successivement pour réfléchir à l’enchaînement. Mais finalement, nous nous apercevons que nous ne sommes pas prêts dans le travail du son et de la vidéo principalement. On répète ces 2 scènes (très gros boulot dans l’articulation du texte de la scène de la malédiction) puis vers 17 ou 18 h, je dis aux interprètes de partir. Tous les autres sont plongés sur les ordinateurs pour écrire les ambiances. Cela commence déjà à ressembler à une course contre le temps. J’essaie d’expliquer tout ce que nous fabriquons aux interprètes. Il faut qu’ils se sentent chez eux, ils sont le nerf de la guerre, s’ils ne trouvent pas leur place, on aura beau écrire les compositions les plus belles, cela ne servira à rien, de l’image, juste de l’image, alors que l’ambition est d’aboutir à un objet vivant, c’est à dire avec du corps et de l’émotion.
Photos :
5ème Jour
Lundi 22 février
Le matin, les interprètes travaillent avec Akiko et Colyne. Ecriture du solo de Elisabeth au sol, répétition du cœur des 3 femmes en rythme sur le claquement de doigts, que JB a enregistré et
monté en boucle.
La boucle, module essentiel dans le travail de la compagnie. Aussi bien sonore que visuelle - surtout sonore - elle a pour vertu d’échapper à toute tendance mélodique, souvent illustrative, et
d’introduire dans sa formule répétitive une ambiance irréelle, hypnotique où enfin on peut parler de création, celui d’un monde en soi.
Arracher le spectateur à ses repères pour l’emmener dans un hors-champ, celui de l’imaginaire.
La vidéo, le son, la lumière, tout le monde travaille. Je vais d’un groupe à l’autre, avec cette joie que je connais, celle du travail qui s’accomplit ensemble.
J’écris pour le blog, je m’aperçois que déjà j’ai oublié les moments des premiers jours, et je sais qu’au final je ne me souviendrai plus du chemin qui nous a conduits à cet objet. Eternel
présent en équilibre instable sur la mémoire. Alors que l’ambition de la compagnie est de créer de la mémoire.
Pierre m’aide. Pierre est un grand et jeune garçon qui ne sait peut-être pas tout faire mais presque tout. En tous cas, beaucoup de choses dans le travail de plateau l’intéressent suffisamment
pour qu’il apprenne à les gérer. Il me montre comment gérer le blog, prend des photos entre 3000 autres occupations, me les fait rapidement défiler, les met en ligne. Des traces, nous travaillons
sur la trace mais aussi le lien quasiment en temps réel.
Course le midi pour déjeuner au RU avant qu’il ferme. Plus de pain, plus grand-chose, mais on avale les frites en vue d’un après-midi chargé.
Puis mise en place de la première partie. Prélude avec Colyne qui introduit le spectacle. Voix de Akiko qui lit le texte telle une traduction simultanée en japonais (mais bon sang, quelle
variations sonores entre le français et le japonais, tout cela d’après un texte italien, lui-même issu d’un texte anglais !), musique de Streamer, remixée par 2 Many DJ’s. On perd Colyne,
travailler les niveaux, la présence sur scène, trouver le bon équilibre.
Le off ensuite du premier monologue de Richard, enrobé dans une boucle de Ennio Morricone que je n’avais pas reconnu. Et là, tout à coup, on entre non seulement dans une histoire mais dans
un état.
Les scénos continuent à accrocher les vêtements blancs pour le mur du fond. Fabrice, le DT, leur demande d’ôter les polystyrènes. Ils ne sont pas M1.
Nous sommes dans un monde où on nous demandera bientôt que tout soit dans cette logique M1 (protection contre le feu). Interdiction de fumer, obligation de la ceinture de sécurité, recommandation
de ne pas trop boire (l’abus d’alcool nuit etc). Pendant ce temps, les banques jettent à la rue les individus qui ne parviennent plus à payer les crédits de leurs logements.
Bref, Fabrice fait ce qu’il peut, il autorise les matelas non M1 au sol et jongle entre ses obligations.
Les progrès étonnants de Lady Anne. Toujours émouvant de voir une actrice donner corps à un personnage. Dans son marcel blanc et sa grande jupe montée sur une structure de tubes en plastique,
petite fille qui s’est déguisée.
Florent, notre Richard, a tout trouvé d’un coup, puis se perd, réfléchit, ne sait plus sur quel pied danser. Je vois sa fatigue.
A la vidéo, Aleth jongle avec la console pour gérer les envois. Comme pour le son, dégraisser, ne garder que l’essentiel. « Trouver l’os ».
Akiko s’acharne sur la précision des chorégraphies. Les filles sont sur des talons hauts, pas toujours facile de trouver l’équilibre. Et moi, suis aussi obsédée que Akiko par la précision du
geste.
Colyne affine son personnage de la parleuse, figure de l’animatrice qui écoute sans entendre, surveille son cadran horaire pour que la prestation soit gérée dans un temps déterminé qui n’a de
rapport qu’avec une grille de programme et interdit à l’humain de prendre son essor.
La nuit précédente, ai relu Dr Jekill et Mr Hyde. J’avais ce livre depuis longtemps sur mes étagères. Très étrange à quel point les livres s’ouvrent quand il le faut. Du coup, Richard me semble
plus que jamais un être soumis à des forces contraires.
Puis j’ouvre « Media Crisis » de Peter Watkins : « Pour résumer, les relations des MMVA (les masse medias audiovisuels) américains avec Washington sont identiques avec celles qui étaient
entretenues par l’appareil de propagande de Goebbels avec la chancellerie du Reich à Berlin et le parti nazi. Ils ne sont plus aujourd’hui qu’un outil de propagande pour l’état. C’est ainsi que
nous avons pu voir des journalistes de CNN, Fox Network, ABC-TV, et d’autres, « embedded » (c’est à dire embarqués, voire « au lit avec » selon la terminologie employée pour désigner les
journalistes attachés à des unités combattantes de l’armée américaine), réalisant leurs reportages en direct du champ de bataille irakien, et vêtus de l’uniforme militaire américain, symbole de
leur « objectivité »… C’est à dire jouant très exactement le même rôle que les caméramans allemands de la Wehrmacht lancés à la conquête de la Pologne, qui rapportaient des images d’actualité du
blitzkrieg au public passif et manipulé du IIIè Reich. »
C’est bien de cela dont il s’agit dans ce Richard III : comment une machine de guerre se met en place grâce (à cause de ?) aux médias.
Là encore, j’ai embarqué ce livre au hasard. Et plus que jamais, il fait sens.
Photos :
6ème Jour
Mardi 23 février
La quille !!!! Pornic, fruits de mer, marcher jusqu’à la plage où un rayon de soleil nous réchauffe malgré le vent.
Bref, la vita dura !
7ème Jour
Mercredi 24 février
Reprise après une journée de repos et évidemment, nous sommes fatigués. Toujours difficile d’interrompre un rythme et de le reprendre. (ne m’annetheron pas !!!!, grande blague des garçons du
plateau !)
Echauffement et répétition des chorégraphies. Toujours cette difficulté chez les non danseurs professionnels à être parfaitement à l’unisson. J’explique aux comédiens que bien que le traitement
apporte une vraie dérision, il n’empêche que les propositions doivent être impeccables. Très bonne volonté générale, ça bosse.
On attaque la deuxième partie. Chez Carmelo Bene, la pièce est découpée en séquences (à noter, ce ne sont pas des scènes mais des séquences, découpage propre au cinéma, c’est peut-être l’une des
raisons pour lesquelles je suis à l’aise dans ce texte, il progresse par plans), c’est une progression qui saute de moments en moments. Pas de fil narratif classique. Comme j’ai coupé dans le
texte (pour des raisons de temps de répétitions) et que je voulais vraiment introduire les didascalies dans le jeu (j’aurais presque eu envie de faire une mise en scène que sur les didascalies
insensées et furieusement intelligentes de CB, en puisant également dans le texte de Deleuze (« Un manifeste de moins »)), j’ai proposé une partition avec un prélude et deux parties découpées en
mouvements. J’en reviens toujours à ces propositions qui pourraient relever d’une approche opéra.
La question du jour, est-ce que les monologues de Richard sont en « in » ou en « off ». Mais j’ai envie que l’acteur « joue », d’autant que Florent a une fragilité naturelle qui nourrit le
personnage. J’en reviens à l’acteur seul avec son texte. Cela semble étrange à Florent de devoir affronter le public, immobile, bord scène. Lui expliquer que Richard ne peut pas être toujours sur
un mode exalté, nonobstant l’écriture de CB. Très vite, on n’entend plus rien et surtout Richard perd de sa force, il devient un bouffon, et n’est plus effrayant. Florent pense à Poutine, l’un
des hommes politiques les plus terrorisants de cette dernière décennie. L’éclat des yeux, froid, glacial. Visage impassible. Modifier l’état du corps de Richard. Lorsqu’il est enfin roi, quelque
chose se pose, il présente une allure « normale », et c’est en cela qu’il devient effrayant.
Quand il est abandonné du féminin (ou lorsqu’il l’abandonne), il renonce à la transgression possible, selon CB. Le féminin comme changement/révolution/utopie possibles ? Cela ne peut que me
plaire !
En relisant la pièce, je m’aperçois à quel point, une fois de plus, j’emmène la mise en scène ailleurs. Instant d’inquiétude. Mais JB me cite Deleuze à nouveau, dans son analyse du travail de CB,
ce qu’il appelle la minoration. J’ai effectivement l’impression que nous dessinons des cercles des cercles concentriques qui se rapprocheraient d’un centre virtuel, là où quelque chose
d’essentiel se dirait (et ferait mémoire ?).
Il n’était pas prévu que la pièce, dans notre appréhension et son évolution, se resserrerait au fur et à mesure autour des personnages. D’ailleurs, je vois bien que Caroline et Clarisse, les deux
filles à la lumière, colorent et isolent progressivement des parties du plateau.
Nos outils sont là, présents, mais plus que jamais leur pratique questionne la résonnance du texte.
Audio :
Vidéos :
8ème Jour
Jeudi 25 février
Ce matin, Jean-Louis me dit qu’il a oublié sa ceinture au bureau. Je mets quelques secondes à comprendre que notre bureau, c’est le théâtre, ces fameuses boîtes noires où nous vivons enfermés, si
souvent, et où nous inventons des mondes. Si tous les quidams qui se rendent à leur bureau le matin pouvaient éprouver notre jouissance à fabriquer une matière issue de l’imaginaire, nous aurions
enfin atteint cette société où les êtres humains vivent dans la dignité.
Ce qui m’apparaît : même si dans la pièce de CB se déroule sur une nuit, et même si et surtout la ponctuation évoque une suite d’actions échevelées, un staccato qui s’interrompt pour repartir de
plus belle, il faut trouver des couleurs pour nourrir le personnage. Il y a 2 époques, celle de la jeunesse et lorsqu’il est enfin roi, celle d’une « maturité », cette période où il entre dans la
« normalité », celle finalement de la vraie monstruosité.
D’où changement de costume, une fois de plus à vue. Il commence dans un collant cuir et T shirt, puis sera dans un vrai costume ensuite. Mais je demande aux filles de la scéno qui gèrent
également les costumes de reprendre les costumes de Travolta à la grande époque disco. Danse de Richard seul dans ce costume.
Evolution du jeu, articuler le texte dans un calme grandissant, l’horreur du texte apparaît de plus en plus violemment.
Nous filons toute la 2nde partie. Problème de rythme avec 2 chorégraphies un peu trop similaires dans leur attaque. Travailler le son différemment.
Ce qui est passionnant avec les interprètes : je m’aperçois à quel point Sarah, qui joue Marguerite, doit lutter contre sa nature pour entrer dans l’aigreur et la haine que renvoie Marguerite.
Chaque jour, elle progresse et dans le filage, au moment du trio où les femmes jouent le texte sur le rythme récurrent d’un claquement de doigts, elle finit par jeter le texte, le proférer. Elle
sait qu’à présent, elle doit être dans cet état dès le début.
Mon grand plaisir dans le passage du mouvement 4 au 5. Les femmes en trio pour la malédiction puis la scène entre Richard et Elisabeth, où il demande à cette dernière, dont il a ruiné
l’existence, de lui donner sa fille, le seul être qui lui reste. Alors que les 3 femmes terminent, Marguerite et la Duchesse partent avec leur micro, en suivant JB qui a ramassé celui
d’Elisabeth, tandis que Markus arrive avec la perche pour sonoriser Elisabeth dans la séquence suivante. Et malgré tout ce travail à vue, on reste avec les acteurs, dans ce succédé
d’émotions.
Nous apprenons aux acteurs à respirer dans les micros : intimité/sensualité. Ramener du corps vivant à chaque fois que c’est possible.
Jean-Louis sort le plus souvent possible du plateau pour voir le travail. Plus difficile pour JB. L’équipe lumière, pour le moment, est en salle. Moi aussi, avec Akiko. Impossible de juger du
travail en restant sur le plateau. Trop de choses à voir, particulièrement les vidéos.
Un temps de discussion entre Markus et le gang vidéo sur la place de la perche qui à un moment traverse les GP sur les écrans. Chacun cherche des solutions. Et trouve, c’est assez impressionnant
!
En fin de parcours, lancer le monologue de Richard de Shakespeare, alors que tout le monde quitte le plateau. Qu’est-ce que ça raconte, sinon un retour aux sources ? Revenir à ce premier
monologue qui interroge la monstruosité ?
Photos :
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9ème Jour
Vendredi 26 février
Premier filage général hier. Moment de vérité. On ne comprend pas bien, le début utilise trop les accélérés, les personnages ne sont pas repérés. Des raccords qui ne fonctionnent pas.
Bref, recommencer et ajouter du jeu dans la première partie.
Ne suis pas convaincue par la fin avec le monologue de Richard, celui de Shakespeare, diffusé en off pendant que l’équipe quitte le plateau. Finalement, ça ne raconte pas grand-chose.
Ce que j’aime dans le théâtre, c’est qu’on en revient toujours à l’acteur et au texte.
Photos :
Vidéos :
10ème Jour
Samedi 27 février
Très beau filage. Le travail sur la première partie, d’éclaircissement, a fonctionné.
Nous avons un objet d’un peu plus de 60 mn. Un ensemble assez drôle qui interroge des genres différents. Revoir la fin, nous partons sur le morceau de Lou Reed « Walk on the wild side ». Je ne
sais plus si nous devons quitter le plateau pendant que la lumière baisse.
Mais j’aime les paroles de Lou Reed tandis qu’on voit Richard en fin de nuit de défonce. Le pouvoir comme une toxicomanie, l’une des plus dangereuses car elle ne tue pas que son utilisateur mais
les populations dont ce drogué s’arroge la gouvernance.
11ème Jour
Dimanche 28 février
Dernier jour de cette première session.
Ultime filage en fin de matinée. La veille, soirée animée. Du coup, en cette matinée dominicale, énergie en baisse. Quoi qu’il en soit, cela nous permet de fixer et de se mettre d’accord sur les
derniers raccords.
Déjeuner, notes, organisation de la prochaine session fin mars, juste avant les représentations du 31 mars, 1er et 2 avril.
Puis démontage. J’ai toujours le cœur un peu serré quand je vois les plateaux se vider.
Train du soir, retour à Paris pour JB et Jean-Louis, moi je rentre à Poitiers.
Conclusion de cette première session : je suis moi-même étonnée de la vitesse à laquelle nous avons travaillé. Cela est dû à la préparation organisée par Colyne et Akiko, et à l’investissement de
tous les étudiants dans ce projet. L’année prochaine, beaucoup d’entre eux vont arriver sur le marché professionnel. Ils ont une énergie et une exigence égales aux nôtres. C’est bon à
savoir.
Fin de ce blog pour le moment.
Reprise le 25 mars.
Reprise: 12ème jour
Vendredi 26 mars
Arrivée hier soir. Nous retrouvons la maison, faire les courses, se préparer à la dernière ligne droite.
Retrouvailles avec l’équipe. La pression monte, personne n’en parle mais tout le monde a conscience qu’on joue la semaine prochaine.
Installation sur le plateau, retrouver ses marques. C’est étonnant comme à chaque fois, alors qu’on pense avoir tout en tête, il s’agit d’un recommencement. Il s’agit bien de spectacle vivant, l’objet lui-même vit et se modifie dans la pensée et la perception, pas uniquement sur le plateau.
Les comédiens travaillent dans une autre salle. L’après-midi je les rejoins, on fait un travail à la table sur le parcours de chaque personnage, de sa logique émotionnelle.
Essayage costumes, problème avec la vidéo, dépannage.
Tout se met en place, c’est un peu lent, à une époque où l’on veut tout, tout de suite ! Mais il faut accepter que nos outils exigent concentration et patience. Le plus difficile est de répartir notre temps entre la direction de l’interprétation, essentielle, et la manipulation des outils dans cette écriture de plateau.
13ème jour
Samedi 27 mars
On continue à jongler pour se répartir le plateau. Technique le matin, les comédiens se retrouvent à la cafétéria pour des italiennes et le travail de corps.
Deux heures sur le réglage des micros. Reprise de la première partie. En complexifiant la logique émotionnelle des personnages, le jeu perd de sa force. On recommence et on recommence, mais il y a un manque d’énergie. Difficile de chercher sa route et de bien conduire en même temps.
En même temps, ce qui apparaît, et cela m’étonne toujours, c’est le retour à ce qui a été immédiatement trouvé dans l’intuition. Des évènements se mettent en place, on approfondit, on parcourt un long chemin, sans échapper à aucun de ses méandres, pour finalement revenir au point de départ. Et pourtant, il semble que ce travail soit indispensable, en ce qu’il nourrit le postulat de départ. De la forme naît le sens.
Longues conversations avec Jean-Louis et JB sur les outils que nous utilisons et l’écriture que nous tentons de développer. Je comprends que JB soit épuisé de passer son temps à lutter contre les larsens, au détriment de la création sonore. En fait, je suis bien obligée d’admettre que ces écritures demandent un matériel performant – avec le développement de certains protocoles qui relèvent d’une pure recherche - et surtout de grosses équipes.
Dernier point : ma décision de tout mettre sur le plateau, régies incluses, sur le principe que nous sommes tous les interprètes de cet objet, complexifie encore la technique. Particulièrement celle du son où l’équipe s’accroche à un retour nettement insuffisant.
Aucun regret dans ces choix, après tout nous sommes là pour tenter de nouvelles approches. Simplement, il faut les assumer.
14ème jour
Dimanche 28 mars
L’objet se retrouve. Les éléments se recollent, recommencent à raconter. Richard trouve son centre, Lady Anne n’est plus seulement une gamine mécontente mais une femme dans le deuil, dans le vide, Marguerite resplendit de violence.
Toujours des problèmes de micro. Personne ne s’énerve, parfois l’épuisement nous guette.
Course des scénos pour terminer le travail de plateau et les costumes, ou comment avec 50 centimes créer un univers.
Je m'aperçois que j'aime bien cette ambiance de bidouille où beaucoup de choses semblent tomber du ciel, que ce soit des téléviseurs ou des matelas.
15ème jour
Lundi 29 mars
Mon goût des théâtres vides. Non seulement quand les spectateurs ne sont pas encore arrivés, mais quand l’équipe est elle aussi absente. Silence profond du plateau qui trouve son écho dans la salle.
Tout le monde est en train de tomber malade, un grand classique. Une fois de plus, notre rôle principal, Richard a attrapé un rhume, nous avons une chance sur deux pour que cela se termine par une extinction de voix. J’ai toujours un comédien qui perd sa voix et une danseuse qui se foule la cheville. La réciproque ne fonctionne pas, les acteurs ne se tordent pas les jambes, les danseurs ont rarement mal à la gorge. Troublant. Quant aux metteurs en scène, je ne sais pas s’ils développent des pathologies particulières (estomac, intestins, il semblerait que cela se localise au niveau du ventre).
Filage de la deuxième partie, resserrer des enchaînements. Le soir, filage de la totale. Fragile mais ça se tient.
16ème jour: générale prévue le soir
Mardi 30 mars
Déthéâtralisation : le grand mot est lâché. Quand y a-t-il théâtre ? Lorsqu’il y a plateau et spectateurs, pour le dire simplement ? Mais je vois bien que dans notre manière de casser les codes, - tout à vu, emmener le spectateur autant dans la fabrication que dans l’émotion d’un propos – il y a une écriture, peut-être encore plus précise que l’approche classique ne l’exige. Pas une traversée de plateau qui ne soit pensée et disséquée.
Mon dernier filage où je suis dans la salle. Le soir, pour la générale, je serai sur le plateau. Je ne suis pas interprète, ce sera la première fois que je suis sur un plateau. Etrange.
Conduite lumière définitive ce matin, vérification de l’interaction avec la vidéo.
Filage de l’après-midi : mauvais. Manque d’énergie.
J’attends ce soir. Sans impatience, en fait.
17ème jour: Première de Richard III
Mercredi 31 mars
Belle générale hier. L’énergie est là, les interprètes sont justes, que ce soit ceux qui jouent et dansent ou ceux qui sont aux consoles. Quelques « pains », mais rien de grave. Sarah et Eva se retrouvent attachées à la ceinture de Richard après le changement de costume. Je leur avais parlé l’après-midi de tous les bugs qui peuvent arriver, particulièrement lorsqu’on utilise autant d’outils. Bref, quoi qu’il se passe, il faut l’intégrer au spectacle. Bonne réaction, les acteurs ont effectivement intégré l’incident dans la scène et les filles ont réussi à se détacher de cette maudite ceinture sans décrocher le HF !
Je suis sur le plateau et j’ai du mal à rester immobile. Moi qui ai toujours rêvé de traverser un plateau, je passe et repasse derrière le mur de vêtements pour aller d’une console à l’autre. Je me glisse aussi dans la salle, toujours avec cette hantise que le son ne soit pas au bon niveau.
Bref, donc une bonne représentation mais je suis obligée de constater qu’à force de travailler, de lisser les enchaînements, nous sommes dans un objet sans aspérités qui m’intéresse moins. Comment garder la singularité de la découverte, de l’intuition, avec l’écriture qui fixe la succession des évènements ? Comment échapper à ce formatage du « lissage » ? Comment travailler et privilégier le « vivant », l’adjectif donnant son sens au terme de spectacle – ou d’objet, dans notre cas - ?
Cet après-midi, italienne, et répétitions de la gestuelle. Les danses « cloclo » continuent à m’amuser, c’est bon signe.
18ème jour
Jeudi 1 er avril
Très belle première. C’est toujours comique de constater à quel point la présence des spectateurs boostent les interprètes.
L’objet est moins lisse, on retrouve des raccords plus abrupts. Peut-être aussi que l’énergie, dans son aspect organique, avec les à-coups qu’elle génère, permet des trouées où le hasard réapparaît.
Le rythme fonctionne assez bien, allegro du début, séries de séquences rapides, quasiment hachées – même la scène très longue entre Lady Anne et Richard est construite de morceaux collés, juxtaposés – et la deuxième partie plus létale, où les scènes se déploient. Ce qui m’étonne, c’est justement que personne ne s’étonne des perchmen et du caméraman sur le plateau. Peut-être parce que ce côté cinéma est annulé par la présence physique des comédiens. Il semble qu’on ait trouvé, tous ensemble, un équilibre qui fonctionne.
Hier soir, je me surprends avec les scénos et Akiko à danser sur le plateau, en même temps que les interprètes.
A noter également que le trac n’a rien à voir si on est sur le plateau. C’est nettement pire d’être en salle ! Pure illusion du plateau, cette sensation qu’on peut agir si un problème se pose. Evidemment, c’est faux.
Ce soir, deuxième. On verra si l’adage qui préconise qu’à bonne première, mauvaise seconde, se vérifie.
19ème jour
Vendredi 2 avril 2010
Oui, l’adage se révèle exact, la deuxième était moins bonne. Moins d’énergie et les acteurs passent plus en force. Des spectateurs qui ont vu les deux représentations ne sont pas d’accord avec moi/nous, ils auraient préféré la seconde. Bref.
Préparation, italienne, échauffement, alors que Sarah nous appelle, elle est dans un parking à côté de sa voiture fermée, les clés à l’intérieur. Jean-Louis et Pierre partent la chercher, Morgan au téléphone leur explique comment braquer la portière. Pendant ce temps, le rhume infecte lentement l’équipe, les voix déraillent, certaines s’éteignent.
Ça sent la dernière.
Tout ce travail pour 3 représentations… Nous avons tous un peu le vertige.
Richard est mort, nous savons voler une voiture.
Epilogue
A peine la troisième et ultime représentation terminée, l’équipe et d’autres intermittents se sont affairés au démontage. Une heure plus tard, exit Richard, il restait un plateau nu auquel on avait rendu ses pendrillons.
Vertige. L’objet comme pur mirage. Il est là, il n’est plus là.
Il me reste le regret de ne pas avoir eu le temps de travailler le rôle de La Parleuse, d’avoir peaufiné l’adaptation en conséquence et d’avoir accompagné plus loin les acteurs.
Mais l’objet aura proposé la mise en scène du hors-champ. Il n’est pas une image aussi close soit-elle qui ne propose son hors-champ, disait Deleuze. Il n’est pas un hors-champ qui ne suggère son contrepoint, non pas le champ, qui resterait dans une approche spaciale, plutôt sa fabrication qui relève de la temporalité. Le temps de la création comme hors-champ de l’objet. Vous pouvez tout voir mais ne pourrez tout savoir. Idem pour nous, les fabricants. Car notre mémoire nous trahit et finalement nous ne nous souvenons jamais avec exactitude du chemin qui nous a conduits à la représentation. Comme quoi, la création dispose toujours d’une zone d’ombre. En tous cas, celle de Richard III. Tant mieux. Laissons aux politiques l’ambition de tout contrôler.
Fin de ce blog.
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borg (lundi, 22 février 2010 21:14)
j'assiste, distant, à ce travail de composition. intéressant ce journal de bord! A vous lire prochainement...
fan (vendredi, 26 mars 2010 22:34)
merci
borg (samedi, 27 mars 2010)
je souhaite succes à votre recherche et initiative theatrale.
c'est bon de voir ressortir la pensée flamboyantes de Carmelo Bene
merde à toute l'équipe!
borg