LE GARÇON GIRAFE
Texte : Christophe Pellet
Mise en scène : Anne Théron
Avec les élèves de 2ème année de l'école du TNS
Jim/Lucas : Romain Darrieu
Norman/Le Garçon à l'imperméable/Nils : Rémi Fortin
Lucie : Johanna Hess
Nathalie : Maud Pougeoise
Clarisse : Blanche Ripoche
Julien : Adrien Serre
Assistante à la mise en scène : Aurélie Droesch (Élève en 1ère année - TNS)
Scénographe / costumière : Heidi Folliet
Régisseur son : Sébastien Lemarchand
Régisseuse lumière / régisseuse générale : Julie Roëls
Création au TNS
Répétitions : du 5 janvier au 6 février 2015
Représentations : Les 7, 8 et 9 février 2015
DEUXIÈME SEMAINE : du 12 au 17 janvier 2015
Lundi, reprise.
Déjà les jours ne signifient plus grand chose, déjà j’avale le chemin entre mon appartement et le TNS en posant un regard distrait sur les vitrines et les visages, je suis déjà sur le plateau et je ne me fais guère d’illusions, ce sera ainsi jusqu’au 10 février, date à laquelle je rentrerai à Paris, ce travail terminé, une encoche de plus sur le couteau de la mémoire.
Lundi, mardi et mercredi, nous traversons la troisième partie.
C’est la partie la plus scénarisée de la pièce, il faut sans cesse trouver des solutions aux problèmes de plateau que le texte fait surgir. Ce troisième acte reprend les personnages vingt ans après. Après le meurtre, après la prison, alors que Clarisse et Nathalie vivent en couple, et que Nathalie est devenue plus et mieux que simple propriétaire, la patronne d’une série de clubs internationaux. (Nathalie se questionne lors de la deuxième partie « Qu’est-ce qu’il y a au-dessus de propriétaire ?… »). Elles ont élevé ensemble Niels, l’enfant que Nathalie a eu de Julien. Sensation qu’elle lui a arraché cet enfant, peut-être qu’il ne faut pas s’étonner que Julien en fasse si peu cas. Clarisse est une femme au foyer, même si elle travaille dans une bibliothèque. C’est elle qui élève Niels. Nathalie est toujours entre deux avions. Elle fabrique de la fête, de l’argent, et volète de corps en corps, de femme en femme, mais revient toujours à Clarisse. Niels est la deuxième réincarnation de Norman, dont Rémi pense qu’il n’est pas mort – il s’accroche au texte, me montre, tu vois là c’est marqué disparu – mais moi j’entends qu’il est mort au sens où il ne se manifestera plus sinon dans une plaie toujours suppurante de la mémoire.
Julien, lui, sort de prison. Il appelle Clarisse. C’est la seule chose qu’il peut faire. Ramener Clarisse à lui. Il ne peut vivre sans elle. Elle ne peut vivre sans lui. Même si Niels doit en mourir. Elle lui dit qu’il est un monstre. Pourtant elle part avec lui. Un couple maudit, conscient qu’il détruit tout sur son passage. Mais comme le dit Julien, ils s’aiment et ne peuvent pas faire autrement.
Niels mourra, comme il était écrit.
Et puis il y a cette ultime fin, surprenante, dérangeante. (mais tant de choses sont dérangeantes dans ce texte, tant de choses qu’il faut écouter et écouter encore pour que du sens émerge, échappant à la narration stricto sensu). Cette fin où Nathalie s’approprie Lucie, l’ex petite amie de son fils, la compagne de Lucas, lui aussi ex amant de Niels. Lucie est enceinte, elle travaille avec Nathalie, l’admire. Oui, c’est bien le terme : Nathalie s’approprie Lucie mais pour lui proposer de recommencer. De tout recommencer. L’enfant qui va naître, elles vont l’appeler Niels, l’histoire doit recommencer mais non pas se répéter. Alors que j’étais gênée jusqu’au malaise par cette scène, en la voyant incarnée, tout à coup j’entends autre chose. Qu’il est toujours possible de recommencer. Face à nos morts, il est toujours possible de choisir le camp des vivants plutôt que de sombrer à son tour. Nathalie est la force de la pièce. Le personnage n’est pas toujours sympathique dans sa volonté forcenée de réussir, elle semble articulée par des codes très masculins (pouvoir, fric), mais finalement elle est celle qui met les enfants au monde.
Je n’ai pas encore complètement appréhendé cette scène mais j’ai au moins un premier fil : il est possible d’appuyer sur le bouton pause, puis rewind, et on recommence. Il est possible d’effacer les mauvais souvenirs, en déchirant leur image, comme elle demande à Lucie de le faire.
Bref, une troisième partie colossale où le mélo se déploie et prend sa force.
Et là encore les comédiens me précèdent dans mon désir de gommer le cadre pour y entrer le hors-champ. Je ne crois pas qu’ils réfléchissent, simplement ils entrent en jeu quand la situation l’exige. Quand Blanche surgit après ses retrouvailles avec Julien dans la chambre d’hôtel, et qu’elle interrompt l’étreinte entre Niels et Lucas, je l’ai vu descendre de la chambre d’hôtel que nous avons située sur le balcon et entrer directement sur le plateau. Je réfléchissais déjà à l’enchaînement en jurant intérieurement parce que je ne voulais pas de noir et que je ne voyais pas comment fabriquer la continuité. La question ne se posait plus.
Jeudi, nous ré-attaquons la première partie.
Avec l’optimisme imbécile qui me caractérise, j’espérais que cette seconde approche nous apporterait de la fluidité. Très vite, il a fallu se rendre à l’évidence. Le texte nous échappait. Nous l’avions traversé, construit son déroulé, suivi/filé/tracé les personnages au long du récit. Mais en repartant du commencement, les personnages ne fonctionnaient plus. L’innocence avec laquelle nous les avions abordés, notre vague condescendance envers leurs propos bizarrement légers nous est revenue en pleine figure.
Je m’y attendais quand même un peu, mais pas à ce point. Pourtant je commence à connaître l’écriture de Pellet, cet oignon lisse et doux au toucher qui est sa signature, dont on découvre les couches innombrables au fur et à mesure du travail. J’avais déjà ressenti un vertige similaire lorsque je travaillais Loin de Corpus Christi où les époques et les lieux s’entrechoquent pour mieux fouiller la trahison et l’abandon.
Je me souviens d’Adrien/Julien, assis au bord du pratos, enroulant l’une de ses boucles dans ce geste répétitif qui lui est familier, me regardant tout à coup pour me dire que Julien avait toujours aimé Clarisse, que cette passion l’habitait peut-être avant même qu’il en prenne conscience, que cela forcément influençait la relation qu’il avait à Norman. De son côté, Blanche/Clarisse a tout à coup compris à quel point son personnage tentait d’échapper à cette passion qui brûlera tout sur son passage.
Nous arrivons au moment où ce ne sont plus les mots qui font sens mais la logique émotionnelle, ce qui résonne au-delà de la langue. La difficulté est de refuser le pathos qui accompagne ces prises de conscience, de fabriquer la mémoire du personnage pour l’intégrer au corps de l’interprète sans que celui-ci l’active volontairement. Une fois de plus, il ne s’agit pas de jouer, mais d’être.
Du coup, tous ces noirs qui fragmentaient la première partie ne fonctionnent plus. La seconde partie, et dans une moindre mesure la troisième, ont proposé une fluidité où la notion de scène et même de séquence n’ont plus de sens, on glisse d’une situation à l’autre.
Un jeudi donc difficile, où j’ai l’impression d’un bras-le-corps avec chaque phrase, chaque mot. Les noirs disparaissent, les acteurs intègrent le vécu de leurs personnages.
La femme en rouge, celle qui raconte, me ravit. Mais là encore, il faut construire les arrières plans, la reprise de l’action proprement dite.
Le vendredi, nous revenons à la deuxième partie.
C’est la plus longue et pourtant, la plus facile. Nous sommes dans le corps du récit, qui se déploie et glisse d’une situation à l’autre. Le fait de tout jouer à vue d’une certaine façon, - si on considère que tout le monde est toujours là -, donne une terrible obscénité à ces corps qui se cherchent, se trouvent, s’écartent. Romain, qui joue Jim dans cette partie, a une idée merveilleuse. Il ne joue pas dans la première partie. Il aurait pu donc tout de suite arriver avec les vêtements de son personnage. Il me propose de s’habiller en même temps que Julien et Clarisse qui se changent entre la une et la deux sur la chanson Party Girl, interprétée par la femme en rouge, 4 minutes qui condensent les cinq années de leur liaison. Or, le fait que Jim s’habille en les regardant, Jim qui va devenir l’amant de Clarisse dans cette seconde partie, tout à coup cela nous propulse dans le hors champ de l’ellipse, comme si on invitait le spectateur à regarder par les trous de serrure, comme si la montée et l’usure du désir pouvaient se télescoper sous nos yeux.
Vendredi, nous sortons à 22h30. Je réalise que je suis entrée sur le plateau vers 9 ou 10 h le matin. L’équipe me propose de boire une bière. Oh oui…
Samedi, retour à la troisième partie.
Et là, ça décolle. C’était déjà très bon, dès le premier jour, mais là l’interprétation atteint déjà une incandescence. Je les regarde, j’oublie de prendre des notes, Heidi – la scénographe et costumière – qui nous rejoint oublie aussi. Nous sommes happés par la danse macabre où j’entends enfin le battement cardiaque.
L’émotion est là.
Anne Théron
le 18 janvier 2015
RÉPÉTITIONS : du 5 janvier au 6 février 2015
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Christophe Pellet (mardi, 20 janvier 2015 17:37)
Chère Anne, passionnant pour moi de lire ton journal de travail et celui d'Aurélie… Hâte de vous retrouver tous sur la scène. Impressionné aussi. Je t'embrasse, Christophe