LOIN DE CORPUS CHRISTI
Texte : Christophe Pellet
Mise en scène : Anne Théron
Avec les étudiants de la 72ème promotion de l'ENSATT - Lyon
Création à l'Ensatt - Lyon
Répétitions : du 7 janvier au 16 février 2013
Représentations : du 18 février au 1 mars 2013
TROISIEME SEMAINE : du 21 au 25 janvier 2013
Une semaine difficile. Nous arrivons au milieu du gué, au moment où tout se défait, perd sens. Je doute de mes choix, les comédiens s’égarent, les créateurs sont épuisés.
Trop de monde, trop de signes, l’ensemble devient confus. Reprendre les scènes, une par une, et enfin le vendredi, nous terminons la semaine, apaisés.
JOUR 11 : Lundi 21 janvier 2013
Le lundi, nous filons la deuxième partie. Problème de rythme, ça ne raconte pas grand chose. Néanmoins, nous constatons une ambiance qui s’écarte de celle de la première partie. Un déroulé plus « théâtral » au sens d’entrée et sortie du plateau des comédiens, quelque chose se resserre autour du récit proprement dit. Autre constatation, cette deuxième partie supporte encore moins que la première un traitement réaliste. Cela interroge certes le jeu mais aussi le son.
Finalement, nous filons également la première partie.
Sentiment général d’insatisfaction
Il fait froid, de remonter le soir le long de La Saône est une dernière épreuve.
JOUR 12 : Mardi 22 janvier 2013
Le mardi, discussion sur les ambiances sonores.
Essayage des patrons pour les costumes. Laurence, qui encadre les coupeuses me parle de son métier. Passionnant. Une fois de plus, j’apprécie l’investissement des équipes. Emilie et Anne-Aurélie, les deux costumières, font des propositions singulières, osées.
Dans l’après-midi, nous filons à nouveau. Je continue à chercher le rythme global. Problèmes de son, de micros. Difficile de travailler sans casque, les fils bougent. Guillaume s’inquiète sur les équalisations des voix. Avec Julien, ils jonglent sur les consoles. Difficile de juger du jeu avec des voix défaillantes.
Mais bizarrement, autant je doute toujours de moi, je ne doute pas de mes équipes. Je sais/sens qu’ils vont trouver et résoudre le problème.
Avec Pierre-Yves, mon assistant toujours aussi calme et confiant, nous décidons de faire venir les comédiens les uns après les autres pour travailler les scènes calmement.
Je crois que mardi a été la pire journée de ces 3 semaines !
JOUR 13 : Mercredi 23 janvier 2013
Le mercredi, retour aux costumes. J’ai hâte qu’ils soient terminés et que les acteurs les portent. Comme j’ai tellement hâte que la scéno soit installée sur le plateau. Les pans du mur de Berlin sont impressionnants, par leurs dimensions, et le matiérage est superbe. Bertrand et Charles ont eu raison de s’obstiner. Je suis sûre que le couloir avec ses baies vitrées va être superbe également.
JOUR 14 : Jeudi 24 janvier 2013
C’est finalement le jeudi que nous commençons du scène par scène, ce qui soulage Guillaume qui va enfin pouvoir travailler le réglage des micros avec plus de précision, et qui ravit les acteurs, perdus dans ce travail de groupe. Nous débutons par la scène entre Anne, Agnès et Johann. Moi aussi, j’ai un plaisir fou.
Avec Eloïse (Agnès), nous entrons dans le détail de la scène. C’est étonnant à quel point on a beau avoir lu et disséqué le texte, on « entend » tout à coup ce qui se dit. Helena (Anne) retrouve ses marques et Johann prend une véritable épaisseur.
Le midi, déjeuner avec Florent Trouvel, un metteur en scène que je croise régulièrement dans les lieux les plus improbables. C’est drôle et sympathique. Je l’invite au resto U avant qu’il ne reparte à Paris.
L’après-midi, à nouveau filage, qui me sert à noter toutes les propositions vidéo pour écrire une conduite définitive.
Ça va un peu mieux…
On boit une bière avec Charles, dans un bar en bas du funiculaire. Il fait si froid que j’appelle un taxi pour rentrer.
JOUR 15 : Vendredi 25 janvier 2013
Le vendredi matin, nous nous attelons à la conduite vidéo, avec Pierre-Yves, Christian Vanderborght, responsable de l’image qui m’a accompagné sur ce projet, et bien sûr Charles, scénographe mais aussi vidéaste.
Longue conversation sur le contenu des images. Borght avait posé comme premier postulat de ne filmer que des regards, sur le motif de la surveillance, de la trahison et de la délation.
Charles propose d’autres images dont des vues de Hollywood, pendant les années 40, un plan sur la mer, très abstrait.
Il propose également qu’on projette sur le mur de Berlin.
Je suis d’accord avec lui, l’écran au-dessus du couloir vitré ne servirait qu’aux portraits et aux regards.
Le mur de Berlin pour les quelques rares autres images.
Il y a un point sur lequel nous sommes tous d’accord, cet objet accepte peu d’images, c’est vite lourd, redondant, non seulement inutile mais cela risque de perdre le spectateur.
Nous finalisons ensemble une conduite.
Pour moi, le regard n’est pas seulement le symbole de la surveillance mais également celui du désir. Ce désir que nous avons tous découvert, qui traverse la pièce, désir de Norma, de Kathleen, de Fredricksen, mais aussi de Anne pour Richard.
Richard, l’homme offert malgré son absence ou grâce à cette absence qui autorise toutes les projections.
Dans l’après-midi, nous travaillons les scènes avec Norma, Richard, Julie et Brecht. Je m’aperçois que dès la rencontre de Norma et Richard, elle dit de lui que c’est un être « pur ». La pureté, comme prémisse au « bien » et « mal » traverse toute la pièce. Qu’est-ce que la pureté ? Ne pas contenir de corps ou d‘éléments étrangers, comme le définissent la physique et la chimie ? Une pureté raciale, comme on pourrait l’entendre dans la parole de Fredericksen, anéanti par son désir pour Richard qu’il a entraîné dans son refus de l’autre ?
Louka (Brecht), comme Richard retrouve de l’épaisseur. Il jette la parole de l’auteur, fait entendre la colère et la lassitude. Pour ce rôle, peut-être plus encore que pour les autres, je ne peux imaginer un autre interprète.
Quant à Marion (Julie), la prosodie se précise. Sur mon conseil, elle a regardé des prestations de Jacqueline Maillant, cette formidable actrice qui avait un sens inouï du rythme. Je vois Marion avancer chaque jour un peu plus.
Puis travail des scènes avec Kathleen (interprétée par Sophie), face à Norma et face à Anne. Des scènes très longues, faussement naturalistes, qu’il faut effectivement jouer mais sans tomber dans l’interprétation. Encore et toujours, faire d’abord entendre le texte. Sophie avait été éblouissante lors des premiers passages, surtout dans son sens du suspens. Un suspens qu’elle avait perdu et qu’elle retrouve progressivement.
Du coup, je peux aussi faire un peu travailler Joseph, dans le rôle de Moritz. Joseph appartient à cette catégorie d’acteurs singuliers qui, quoi qu’ils fassent, ne ressemblent jamais à personne. Une vraie force mais à canaliser.
Une fois de plus, je constate à quel point chaque acteur est unique. Leur laisser le temps de chercher, se méfier de ceux qui trouvent tout de suite pour tout à coup sombrer et se redresser en fin de répétitions, encourager ceux qui avancent d’un pas chaque jour, leur faire confiance.
Alors que j’étais inquiète du tour naturaliste que prenait la mise en scène, je découvre qu’avec les personnages de Johann ou Moritz, d’autres types de jeu cassent le naturalisme et emportent ailleurs.
Vendredi soir, épuisement général terrible. Mais comme je le disais plus haut, soulagement général de constater que beaucoup d’éléments sont là, qu’il faut leur laisser le temps de se déployer.
Billets de Anne Théron
Janvier 2013
ENSATT
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